RATP

Une approche par le design a révélé le réseau de transports en commun comme un maillon de la culture parisienne, et non un simple service de mobilité.

Le monde entier connaît la RATP comme l’entreprise qui exploite le métro parisien. Communément, on dit de la RATP qu’elle gère les transports en commun de Paris intra-muros (métro, bus, RER et tram) et de sa banlieue proche.

Mais aujourd’hui, à l’image de nombreuses métropoles, son réseau et ses services s’étendent plus loin en banlieue et se connectent avec d’autres compagnies, sous l’égide d’une autorité régionale des transports publics, le Stif, qui coordonne les opérateurs et supervise l’évolution à long terme de l’ensemble des services de transport public.

La stratégie de développement des produits et services de la RATP diffère quelque peu de celle d’une entreprise privée qui serait libre de définir son offre et se fierait à la demande du marché : l’autorité régionale fixe les prestations du service public, le prix payé par l’usager et le budget annuel.

Toutefois, la RATP fonctionne comme une entreprise qui a des obligations de service public et non comme une administration.

Si le développement des produits, des systèmes de signes et des bâtiments a toujours fait partie des activités de la RATP, le design était autrefois dilué au sein de différentes disciplines, intégrant les architectes, les ingénieurs ou des spécialistes de marketing.

Un changement de paradigme a eu lieu dans les années 1980, lorsque la RATP a lancé une campagne de communication destinée à créer une identité transcendant ses activités : la plupart des Parisiens se rappellent encore le slogan « ticket chic, ticket choc », vieux aujourd’hui de 25 ans.
Cette évolution a ouvert une nouvelle voie à une approche orientée usager et au design.

Le design management s’est mis à jouer un rôle clé en faisant en sorte que la meilleure expérience de voyage soit proposée aux usagers. Une approche par le design a révélé le réseau de transports en commun comme un maillon de la culture parisienne, et non un simple service de mobilité.


Intégrer le design à la structure opérationnelle

C’est seulement en 1990 que le terme « design » a servi à nommer l’une des nouvelles unités de la RATP complètement refondue. Distinct de l’ingénierie et l’architecture, le design a contribué à la conception des espaces (équipements des stations, design des trains et des bus, signalisation).

Paradoxalement, son rôle s’est accru considérablement le jour où le mot a disparu.

En 1992, l’unité design a été rebaptisée « espaces de transport », modifiant ainsi le comportement des autres entités de l’entreprise, comme l’affirme Yo Kaminagai, responsable du design : « nous avons alors défini notre équipe non pas selon sa profession, mais par l’objet sur lequel elle travaillait.

Avant, les gens pensaient au design comme d’un prolongement un peu lointain de la communication visuelle. » Ce changement a clarifié la contribution de l’équipe design par rapport à l’ensemble de la gamme de produits et services gérés par l’entreprise, et a permis aux autres départements de distinguer les points où le design pourrait potentiellement intervenir dans leurs propres activités.

Grâce à cette évolution, l’activité design s’est renforcée et un processus formel de design management a commencé à poindre dès 1995.

Si le rôle du design à la RATP était à l’origine de superviser les produits et les signes, il a évolué en un design global de l’espace, en permettant le passage d’une attitude fonctionnelle à une approche qui s’apparenterait du design d’expérience.

Cette évolution découle de la nature de l’activité de transport urbain, et témoigne de la culture de l’entreprise.

Certains projets peuvent courir sur des durées inhabituelles pour l’industrie : 10 ans pour le développement d’un nouveau métro, jusqu’à 20 ans pour la rénovation des stations (le projet a débuté en 1994 et la dernière station sera traitée en 2014). En outre, le design management de la RATP a intégré un volet d’ingénierie culturelle dès le milieu des années 1990. Selon Yo Kaminagai : « La RATP doit gérer une véritable histoire des objets ; prenez le métro : des objets flambant neufs en côtoient d’autres pouvant avoir 10, 20 ou même 100 ans ».

L’appellation actuelle du service auquel appartient l’unité de design management traduit bien cette particularité : « département des espaces et du patrimoine ».

Outre les modifications épisodiques de l’intitulé de cette entité, le design management puise sa force dans une mosaïque interne de disciplines diverses qui ont dépassé les frontières pour bâtir une approche unique : le design management est avant tout un travail d’équipe.
En outre, bien que l’unité design ne soit pas responsable des bâtiments eux-mêmes, il entretient un dialogue constant avec les équipes en charge de l’architecture.

Cette unité a donc la responsabilité de tout le design du matériel roulant, de la quasi-totalité des composants équipant les espaces du métro, du RER, des trams et des stations de bus, et définit également les caractéristiques des autobus.

Toutefois, la RATP applique au design une approche véritablement globale.

Autrement dit, il prend en compte toutes les interactions (fonctionnelles, esthétiques, etc.) entre un objet quel qu’il soit et son environnement, qu’il s’agisse de la ville dans son ensemble, des bâtiments qui entourent chaque véhicule en surface, des stations de métro ou de tram, ou de tout autre composant. Certaines opérations majeures (telles que l’extension d’une ligne de bus, la création d’une nouvelle ligne de tram ou la réorganisation d’une station de métro ou d’une gare de RER) se coordonnent avec des processus de rénovation urbaine.


Gérer le design à la RATP : méthode qualitative contre méthode prescriptive

Le design à la RATP est une activité managériale pure.

L’entreprise agit comme un maître d’ouvrage : il ne fabrique ni objet, ni machine et ne construit rien non plus. Le travail de design lui-même est externalisé.

Cette activité exige une direction et des actes de management au même titre que des procédures. Chaque projet phare (par ex. la dernière ligne de tram T3) est l’occasion de réfléchir sur l’identité.

Le moindre détail (qu’il s’agisse des véhicules, de leur livrée ou de leur ambiance intérieure, des stations ou des œuvres d’art installées sur la ligne) est évalué dans son contexte afin de garantir une cohérence visuelle et de faire percevoir par l’usager un message de qualité. Au lieu de disposer de modèles, normes ou catalogues fixant chaque caractéristique, le design RATP combine continuité et changement grâce à des lignes directrices précises mais ouvertes.

Par rapport à d’autres grandes entreprises de transport, la RATP conjugue étroitement design et ingénierie culturelle.

Probable conséquence d’une participation forte à l’identité parisienne, le fait est que la RATP a développé une conscience, une sensibilité et un engagement profonds vis-à-vis de son rôle au sein du territoire urbain.

Elle associe ainsi son nom à des événements culturels, valorise son patrimoine et invite des artistes à enrichir ses espaces. C’est certainement la raison pour laquelle le discours de l’équipe design met si fortement l’accent sur la façon dont les composants et leurs détails doivent produire de la qualité et exprimer de l’attention.

Pour bien faire comprendre cette attitude aux agences de design engagés pour un projet, la RATP a élaboré une série de documents de design management : « Les fondamentaux des espaces de transport » // « Répertoire stylistique » (classification raisonnée des styles et caractéristiques inventoriés) // « Cahier de tendances » // « Guide méthodologique ».

Enfin, selon Yo Kaminagai, il est apparu très difficile de partager cet état d’esprit avec les agences de design éloignées d’une certaine culture parisienne : les projets proposés ont généralement montré une approche inadaptée et trop « touristique » de la ville et de ses signes.


Corréler le design à une stratégie globale

Même si le design intervient indéniablement dans la plupart des projets, son rôle peut varier.

L’équipe de design doit se réunir régulièrement avec les chefs de projet pour vérifier que la part du design dans le projet est bien cadrée, planifiée et budgétée.

Heureusement, l’unité design dispose d’un budget propre qui sert à compenser les insuffisances par rapport aux estimations initiales de certains projets, et à développer ses propres propositions.

Les cahiers des charges de design sont normalisés et, qui plus est, les objectifs sont pour la plupart opposables, grâce à des spécifications qualitatives objectivables, ce qui fait du design une compétence stratégique pour l’entreprise.

Le succès de la ligne de tram T3, pour lequel le design a joué un rôle intégrateur, a eu un impact considérable : l’équipe de design management travaille désormais sur 8 projets de tram parallèles (4 nouvelles lignes et 4 extensions).

Toutefois, ce succès et quelques autres ne sauraient dissimuler le fait que dans une structure aussi grande que la RATP des défaillances peuvent survenir.

Certaines unités interprètent mal des recommandations de design, prennent leurs propres décisions ou font appel trop tard à l’équipe de design management.

Selon celle-ci, le défi consiste à « structurer davantage ses outils et améliorer ses méthodes. Elle doit positionner son action au-delà du management du design, et remonter le plus en amont possible, au plus près de la formulation stratégique d’un projet. »

Le design ne reporte pas directement à la direction générale.

Mais l’équipe de design management doit tenir compte de trois comités transversaux : une première en charge de la marque, une seconde qui manage la dimension culturelle de l’entreprise, et une dernière s’occupant du patrimoine des espaces de transport.


Faire la pédagogie du top management

Yo Kaminagai souligne aussi la structure managériale complexe d’une entreprise telle que la RATP.

Ses objectifs, ses prérogatives et son budget sont négociés avec une autorité fortement liée au Conseil régional.

Le gouvernement national désigne le PDG qui occupe un poste très politique.

Par conséquent, une réorganisation peut avoir lieu à chaque avènement d’un nouveau PDG.
Dans ce cas, les nouvelles perspectives peuvent interrompre un processus complexe.

La meilleure façon de convaincre la direction de la valeur stratégique du design est d’insister sur l’intérêt de maîtriser la marque au travers de l’expérience et de ne pas se limiter à une charte graphique en marquage, consacré au logo ou au vert jade caractéristique.

Il s’agit d’un débat présent en haut de la hiérarchie, ce qui, d’après l’équipe de design management, est un bon signe : « cela montre à quel point le design conduit à une approche stratégique ».

Yo Kaminagai résume ainsi : « le design n’est pas une fin en soi, mais un moyen intelligent de montrer que nous attachons de l’importance à la mobilité des usagers. La RATP est une entreprise qui a conscience du design. Nous affirmons que le transport public forme un espace dans lequel le respect mutuel est une valeur clé du vivre ensemble. Et le sentiment d’être au service de 10 millions d’usagers chaque jour constitue l’une des valeurs fondamentales qui unissent les 45 000 salariés de l’entreprise. »

Ces propos rappellent l’approche de Lazlo Moholy-Nagy : « L’idée du design et le métier du designer doivent évoluer de la notion d’un travail de spécialiste à un comportement global d’ingéniosité et d’inventivité qui permet aux projets d’être considérés non pas de façon isolée, mais en relation avec les besoins de l’individu et la communauté. » (Vision in motion, p.42)